Edito
Ce n’est plus un sujet ésotérique, tout le monde en parle. Il y’a des années en arrières, les notions de dette publique, surendettement, dette excessive étaient réservées aux économistes et à quelques politiciens.
Aujourd’hui, c’est un sujet qui attire l’attention de tous. Entre 2000 et 2019, la dette publique de la Côte d’Ivoire se situait en dessous de 10 000 milliards FCFA selon les données de la BCEAO.
Aujourd’hui, cette dette est estimée à plus de 27 000 milliards FCFA avec 61,8% de dette extérieure et un ratio d’endettement de 58,1%. Suscitant une polémique quant à la viabilité de cette dette.
Malgré ces chiffres inquiétants, en mai 2023, le FMI a jugé que la dette ivoirienne était soutenable en accordant un prêt de 3,5 milliards de dollars.
En outre, le 25 Avril 2024, lors de la cérémonie de présentation du rapport risque pays de la Côte d’Ivoire, la ministre de l’Economie, du Plan et Développement Mme Nialé KABA a rassuré les populations et les économistes que le risque de surendettement de la Côte d’Ivoire n’était pas inquiétant car le ratio d’endettement de la Côte d’Ivoire était inférieur au seuil critique régional (70%).
En effet, si l’on se réfère au ratio d’endettement, la Côte d’Ivoire est en dessous du seuil critique d’endettement régional (58% contre 70%).
Ainsi, théoriquement la dette ivoirienne est soutenable. Pourtant, ce seuil critique régional fait l’objet de plusieurs controverses.
Que ce soit sur le plan théorique, empirique ou même dans la pratique, ce seuil est jugé surestimé ou ne tenant pas compte des réalités de tous les pays de la sous-région vu que ces pays ne sont pas tous homogènes.
A ces critiques s’ajoutent souvent des difficultés de calculs étant donné que la détermination du seuil est non seulement fonction de la production totale nationale dont les statistiques sont souvent tachés d’erreurs à cause du poids du secteur informel dans l’économie nationale.
Ainsi, la crédibilité du ratio d’endettement reste discutable. Par conséquent, baser une analyse sur ce ratio peut conduire à des interprétations fallacieuses.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a enregistré une forte croissance depuis 2020 bien qu’il y ait eu plusieurs chocs externes. Cette croissance est passée de 0,9% en 2020 à 7,4% en 2021 puis une légère baisse en 2022 (6,7%) et se situe à 7% en 2023.
Toutefois, la Côte d’Ivoire est passé de la catégorie des pays à développement humain moyen à la catégorie des pays à développement faible selon le rapport de Bloomfield Investment.
De plus, le problème de l’autosuffisance alimentaire reste encore un défi majeur, la guerre en Ukraine en a été témoin. L’écart entre le coût de la vie et le pouvoir d’achat de la population ne cesse de de se creuser.
Selon l’article de « Jeune Afrique » publié le 7 mars 2024, la Côte d’Ivoire occupe l’une des premières places des pays africains où le coût de la vie est le plus élevé.
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LE GRAND DOSSIER
Evolution de la dette publique d’ivoirienne
La dette publique désigne l’ensemble des engagements financiers des administrations publiques. Entre 1970 et 1995, le stock de la dette ivoirienne enregistre une croissance allant de 103,25 milliards de FCFA à 9433,17 milliards FCFA.
Cette croissance de l’endettement de la Côte d’Ivoire s’explique par le fait que dans les années 70, la Côte d’Ivoire s’est lancée dans un programme d’investissement afin de se doter d’infrastructures.
Contre tenu de la forte croissance économique tiré essentiellement par l’agriculture, la Côte d’Ivoire était perçue comme un bon exemple. Ce qui a permis non seulement de faciliter l’accès au financement des institutions internationales mais et surtout la confiance des investisseurs privés qui cherchaient des débouchées pour leurs capitaux.
Durant cette période, la Côte d’Ivoire s’est fortement endettée et fut considérée comme l’un des pays les plus endettés. En effet, tous ses ratios d’endettement étaient au-dessus des normes régionales et largement supérieures à ceux des petit pays pauvre et très endettés.
En 1985 par exemple, le ratio d’endettement de la Côte d’Ivoire était de 151,7% alors que le ratio régional affichait 34%. En 1990, il est passé à 195,7% contre 34,8% et en 1995, pendant que le ratio régional se situait à 39,6%, celui de la Côte d’Ivoire avait atteint 251,7%.
Compte tenu de cette situation, il fut une interruption des financements privés. En 1980, la Côte d’Ivoire bénéficia seulement du quart du financement privé total provoquant ainsi des transferts négatifs.
Avec la crise de la dette en 1982 et les chocs externes que subit la Côte d’Ivoire, celle-ci a cumulé des arriérés de paiement. Cette situation a entraîné une méfiance des investisseurs privés qui s’est soldé par une interruption totale du financement privé en 1987.
La Côte d’Ivoire passe donc de la catégorie des pays émergents à la catégorie des pays pauvres. Etant confrontée par des difficultés financières, et un endettement excessif, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans un processus de restructuration à partir de 1995.
Ce processus a été soutenu par un environnement extérieur favorable et la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994. Au lendemain de la dévaluation du Franc CFA, la situation financière de la Côte d’Ivoire s’est brusquement et fortement améliorée grâce au changement de parité entre le FCFA et le Franc français, à la remontée des cours du café cacao et à l’afflux des aides en provenance de l’extérieur. En outre, entre 1994 et 1998, en plus de la hausse du cours du café cacao, la Côte d’Ivoire enregistre une hausse de sa production nationale.
Au niveau des recettes, l’Etat impose une hausse des prélèvements sur le cacao et sur les autres produits. Au niveau des recettes intérieures, le gouvernement baisse les taux de Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et de l’impôt sur les bénéfices mais augmente en contrepartie son effort de recouvrement et supprime plusieurs exonérations.
En définitive, entre 1993 et 1998, le taux de prélèvement intérieur progresse de près de 3 points de PIB. Quant aux dépenses, les augmentations de salaires accordées aux fonctionnaires auront été limitées.
Par ailleurs, un programme de départs volontaires indemnisés entraîne une diminution de 4 % des effectifs de la fonction publique entre 1993 et 1998. Enfin, la privatisation d’entreprises publiques déficitaires allège fortement les finances publiques.
Mis en perspective avec la période 1985-1986, les ajustements de la période 1994-1998 apparaissent là encore plus solides. Pour commencer, le poids total des dépenses, qui sont par ailleurs restructurées, diminue.
Les dépenses courantes se situent dorénavant au-dessous de 20 % du PIB contre 27 % entre 1985-1987. En effet, à côté de l’ajustement de la masse salariale, la croissance des autres dépenses courantes a été restreinte, et les allégements de dette négociés durant cette période ont divisé par deux, le poids des paiements d’intérêts.
Ces évolutions ont permis une forte hausse de l’investissement, dont la part dans le PIB a plus que doublé. Celle des dépenses publiques d’investissement est plus de deux fois plus importante en 1998 par rapport à la période 1985-1987 (7 % du PIB contre 3 %).
L’ensemble des ajustements ont permis la réduction du stock de la dette publique entre 1995 et 2001 qui passe à 6158,26 milliards de FCFA en 2001.
Cependant, sur la période 2001-2009, l’endettement de la Côte d’Ivoire a affiché une tendance croissante. Au sortir de la crise socio-politique de 2002, pour relancer l’économie et faire face aux dégâts de la crise, l’Etat s’est encore endetté.
Cette accumulation de la dette avec un environnement économique désastreux à conduire le pays en 2009 à une situation critique à tel point que le pays bénéficia d’un allègement de sa dette avec une annulation d’une valeur de 1 729 milliards FCFA.
Ces facilités ont largement fait baisser le stock de la dette ivoirienne qui se situe à 3 885 milliards de FCFA en 2012 contre 5 338,19 Milliards de FCFA en 2009. Année où la Côte d’Ivoire a atteint le point d’achèvement pour les Pays Pauvre Très Endettés (PPTE). Elle bénéficia encore d’un allègement de sa dette. Ce qui permet à la Côte d’Ivoire de se hisser parmi les 10 premières économies de l’Afrique.
En 2012, en lien avec la stratégie de développement de la Côte d’Ivoire et de l’ambition des Autorités Politiques de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020, le Gouvernement a adopté le 28 mars 2012 le « Plan National de Développement 2012-2015 ».
L’exécution de ce plan a nécessité un recours à l’endettement augmentant ainsi le montant total du stock de la dette à 4 489,1 Milliards de FCFA. Soit une différence de 604,1 Milliards de Franc CFA, trois ans après le PPTE. Entre 2015 et 2023, la dette ivoirienne a augmenté de façon exponentielle. De 2015 à 2020, le stock de la dette est passé de 4 489,1 Milliards de FCFA à 10 756,7 de FCFA. Il a donc plus que doublé en cinq ans. De 2020 à 2023, ce stock à varié de 7 375,3 Milliards de Franc pour se situer à 18 132 Milliards de FCFA.
Toujours dans l’optique de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020, les Autorités Ivoiriennes se sont dotées d’un nouveau plan de développement intitulé le Plan National de Développement (PND) 2015-2020, tout comme le précèdent plan de développement, le financement de ce plan s’est fait en grande partie par l’endettement.
Ce qui a permis la construction et le réaménagement du réseau routiers ivoiriens. En outre, la crise sanitaire mondiale de 2019 a également été un facteur de l’accroissement de la dette. Entre 2020 et 2023, avec la CAN 2023, l’Etat a augmenté ses dettes afin de doter le pays de nouvelles infrastructures.
Soutenabilité de la dette ivoirienne
Le montant total de la dette ivoirienne s’inscrit en 2023 à 27 782,6 Milliards de FCFA. Cette dette est composée principalement de la dette extérieure qui représente 61,8% du total de la dette.
Soit 17 156,3 Milliards de FCFA dont 49,1% est commerciale, 17,1% est bilatérale et 33% est multilatérale. Le ratio d’endettement de la Côte d’Ivoire s’est situé à 51,1% au sortir de l’année 2023. Bien que ce ratio soit inférieur à la norme régionale, il a pris de la valeur. Après avoir atteint un pic en 2018 avec une valeur de 53,21%, il déclinait jusqu’en 2020.
Quant aux recettes budgétaires, elles sont composées essentiellement des recettes fiscales qui représentent 93,3. En plus, s’ajoute les recettes non fiscales et les dons qui représentent respectivement 2,6% et 4,1%. Or, le service de la dette représente 59,6% des recettes fiscales conduisant à une augmentation du déficit budgétaire qui a affiché 1 506,9 Milliards de FCFA en 2023. Ce déficit représente 30,69% des dépenses totales et 5,2% du PIB (supérieur à la norme régionale qui est de 3%).
Il faut noter que la dette n’est pas une mauvaise chose en soi. En revanche, c’est l’utilisation qu’on en fait qui peut la rendre dangereuse. Ainsi, une mauvaise utilisation de la dette peut compromettre le processus de remboursement occasionnant des conséquences désastreuses.
Selon le Représentant des BRICS pour l'Afrique Centrale et Occidentale, M. Ahoua Don Mello et bien d'autres analystes politiques et économiques, la dette ivoirienne reste une dette improductive...
Des efforts restent encore à consentir quant à l’amélioration des ressources et la maitrise des charges de fonctionnement du Gouvernement, comme l'a souligné le rapport de Bloomfield Investment.
Par ailleurs, la situation de la dette ivoirienne mérite une attention particulière et une gestion optimale.
M. Silué Pagadjoufougou, Consultant Financier chez MARK'US GROUP
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A la Une
DETTE PUBLIQUE IVOIRIENNE : COMMENT LA CORRUPTION PEUT-ELLE EN AFFECTER LE REMBOURSEMENT ?
Par M. Amafou DIBY
Inspecteur du Trésor,Régisseur d’Avances du Pôle Pénal Économique et Financier,Spécialisé en Détection, Prévention et Répression de CorruptionDivision Internationale de l’École Nationale de la Magistrature de Bordeaux
Dans la décennie 60-70, alors que la Côte d’Ivoire connaît une ère de prospérité qualifiée de « miracle ivoirien », des scandales financiers[1] éclatent qui jettent l’émoi dans toute la société ivoirienne. Le préjudice est énorme et pour la première fois, une loi n°77-427 du 29 juin 1977 portant répression de la corruption est adoptée. Aussi, les ivoiriens se souviennent-ils du procès de la LOGEMAD. Les responsables de cette société seront le veau expiatoire de dirigeants qui n’ont en réalité jamais eu le sens du bien commun. Et pourtant, il y avait des raisons de juger beaucoup d’autres. Mais le « père de la Nation » avait assuré « ses enfants » qu’on ne regarde pas dans la bouche des grilleurs d’arachide.[2] Depuis cette époque, les scandales financiers se sont succédés et la culture d’improbité s’est progressivement enracinée dans la société ivoirienne. Selon la définition de la Banque Mondiale (BM) extraite du dictionnaire de la corruption[3], elle s’appréhende comme le fait d’utiliser sa position de responsable d’un service public à son bénéfice personnel. Ainsi, qu’elle soit petite ou grande, active ou passive, la corruption cause de nombreux dégâts. Selon la Banque Mondiale, chaque année, 1000 milliards de dollars sont versés en pots-de-vin tandis que quelques 2600 milliards de dollars, soit plus de 5% du PIB mondial, sont détournés. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) estime que, dans les pays en développement, le montant des fonds soustraits de leur destination par la corruption est dix (10) fois plus élevé que celui de l’aide publique au développement (APD).[4] La corruption a donc des répercussions négatives sur la société, l’économie et même l’exercice de la démocratie lorsqu’elle implique les gouvernants. La dette publique est l’ensemble des emprunts contractés par un État pour financer ses dépenses. Ces emprunts peuvent être effectués à travers divers instruments financiers, tels que les obligations, les bons du Trésor, et d’autres titres de dette. Généralement, les sources de la dette publique sont les suivantes : Premièrement, en cas de déficit budgétaire lorsqu’un gouvernement dépense plus qu’il ne perçoit en recettes. Deuxièmement, pour financer des investissements publics à travers des projets d’infrastructures considérés comme bénéfiques à long terme. Troisièmement, pour stabiliser l’économie en période de crise économique. Les détenteurs de la dette peuvent être des résidents nationaux (Banques, compagnies d’assurance, fonds de pension), des investisseurs étrangers (Institutions de Bretton Wood, Gouvernements étrangers, fonds souverains et autres investisseurs institutionnels internationaux) et des banques centrales. L’impact de la dette publique sur la croissance économique dépend donc de la manière dont la dette est utilisée, du contexte économique et du niveau de dette par rapport à la capacité de l’économie à générer des revenus. Ainsi, une gestion prudente et stratégique de la dette publique peut soutenir la croissance économique, tandis qu’une mauvaise gestion entachée d’actes de corruptions et de malversations diverses peut entraîner des risques et des contraintes économiques significatives. Ces risques, pouvant à terme compromettre le remboursement même de la dette. La Côte d’Ivoire, dans sa volonté de stimuler davantage sa croissance et d’optimiser les investissements infrastructurels initiés, a recours à la dette publique. À ce jour, cette dette s’évalue à 25.000 milliards de francs CFA[5] si l’on s’en tient aux chiffres communiqués par le Ministre des Finances et du Budget, Adama COULIBALY lors de son passage devant la Commission des Affaires Économiques et Financières de l’Assemblée Nationale. Si la politique d’endettement semble maîtrisée au regard du dernier rapport de l’agence de notation panafricaine Bloomfield Investment[6], il faut néanmoins relever que des risques de corruption[7] subsistent en Côte d’Ivoire qui pourraient être préjudiciables au remboursement de la dette publique. Dans cette étude, nous allons démontrer comment la corruption pourrait impacter négativement le remboursement de la dette publique en Côte d’Ivoire avant de proposer des mesures pour lutter contre la corruption et par conséquent, faciliter le remboursement de la dette.
La corruption peut compromettre la transparence et l’efficacité des politiques fiscales et budgétaires entraînant une baisse des recettes fiscales. Concrètement, les revenus fiscaux peuvent baisser à cause de l’évasion fiscale et de la fraude. Les entreprises et les particuliers peuvent utiliser des pots-de-vin pour éviter de payer des impôts ou réduire leur charge fiscale, amenuisant ainsi les ressources étatiques nécessaires pour rembourser la dette. Dans les pays africains, les services chargés de la perception des revenus sont considérés comme « prioritaires » car la corruption a le plus d’occasions de s’y répandre.[8] Il serait judicieux de relever qu’en réduisant les revenus fiscaux disponibles, la corruption complique la gestion budgétaire et limite les ressources que l’État peut consacrer au remboursement de sa dette publique. Cela peut conduire à une accumulation de la dette et à une détérioration de la situation globale du pays.
La mauvaise gestion des fonds publics en raison de la corruption peut mener à des projets de développement mal exécutés, à des infrastructures de mauvaise qualité et à des services publics inefficaces. Cela entraîne des surcoûts et nécessite des dépenses supplémentaires pour corriger les défauts, augmentant ainsi la charge financière et compliquant le remboursement de la dette. Cette situation transparaît aisément à travers les marchés publics, lorsque la corruption s’y répand. De nombreuses conséquences[9] en découlent dont :
II.1. Prendre l’engagement de combattre le fléau
De tout ce qui précède, nous pouvons exprimer notre satisfaction quant aux efforts des autorités ivoiriennes qui depuis quelques années se sont résolus à moraliser la vie publique ivoirienne à travers l’adoption de plusieurs textes anticorruption[10] et aussi la mise en place de plusieurs institutions anticorruption dont la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance (HABG). Notre plaidoyer s’inscrit alors pour une plus grande indépendance de ces institutions et une meilleure allocation de ressources afin de faciliter leurs activités[11].
II.2. Renforcer la transparence et la responsabilité dans la gestion des finances publiques La Côte d’Ivoire s’est dotée d’une haute juridiction chargée du contrôle des finances publiques à travers la Cour des Comptes.[12] Elle a aussi adopté une loi organique n°2014-337 du 05 juin 2014 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques. Ces actes constituent des faits majeurs. Néanmoins, certains scandales financiers ayant impliqués des structures étatiques soulèvent la nécessité de faire mieux. Voici quelques approches clés pour atteindre cet objectif :
II.4. Optimiser les déclarations de patrimoine La déclaration de patrimoine est la première mesure préventive envisagée par l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (Titre III- Chapitre premier- articles 5 -10). Certains agents publics y sont assujettis à savoir le Président de la République, les Présidents des institutions de la République et les personnalités ayant rang de président d’institution, les membres du Gouvernement et les personnalités ayant rang de ministre ou de secrétaire d’État, les personnalités élues, les gouverneurs et vice-gouverneurs de districts, les membres de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance ainsi que le secrétaire général de ladite autorité, ou toute autre personne agissant pour le compte de l’État et utilisant, dans le cadre de ses fonctions, les moyens financiers de l’État.[13] Les déclarations de patrimoine, visent à accroître la transparence des responsables publics en permettant au public de connaître la situation financière de leurs représentants et de vérifier qu’ils n’utilisent pas leurs fonctions pour s’enrichir illicitement. Elle permet de prévenir les conflits d’intérêts et surtout de lutter contre l’enrichissement illicite. Son analyse doit permettre de détecter des écarts inexpliqués entre les revenus légitimes et les actifs possédés, ce qui peut indiquer des pratiques de corruption. En principe, les déclarations de patrimoine sont requises au moment de la prise de fonction et au moment de la fin de fonction. Elles peuvent être actualisées en cours de fonction, mais la loi ivoirienne n’en fait pas une obligation. Elles doivent faire l’objet de vérification afin d’en appréhender l’exactitude et la sincérité. Les déclarations de patrimoine ont un impact dissuasif car devoir déclarer leurs actifs peut dissuader les responsables publics de s’engager dans des pratiques corruptives. Elles permettent un contrôle citoyen lorsqu’elles sont publiées. Enfin, elles aident à réduire les cas de fraude et de corruption. Toutefois, elles font face à certains défis qui tiennent à l’exactitude des déclarations faites, à la vérification rigoureuse des déclarations et au risque de dissimulation de certains actifs. La prise en compte de ces défis est indispensable, au risque que les déclarations ne deviennent que de simples formalités sans réel impact. La Côte d’Ivoire en prévoyant la déclaration de patrimoine dans son dispositif juridique est sur la bonne voie, mais elle pourrait faire mieux en intégrant la gestion des risques sus indiqués.
II.5. Médiatiser la répression des pratiques de corruption La médiatisation de la répression de la corruption contribue à créer un environnement où la transparence et l’intégrité sont valorisés, tout en réduisant les opportunités pour des comportements corruptifs. Elle présente plusieurs intérêts majeurs dont la dissuasion car la visibilité des actions contre la corruption peut décourager les agents publics et même les entreprises de s’engager dans des pratiques corruptives par peur de sanctions publiques. André LACROIX[14]affirme que dans les pays du Nord tels que la Suède, les mesures de transparence publique et la liberté de presse sont les deux piliers les plus efficaces des mécanismes de lutte contre la corruption et les manquements éthiques. À travers des mécanismes d’accès à l’information, les journalistes arrivent à documenter les abus et pratiques reconnues comme atteintes à la probité. Ainsi, les politiciens et fonctionnaires conscients de cette situation et craignant de faire un jour l’objet d’une enquête, sont obligés d’agir de manière exemplaire. Le sentiment de vivre dans une maison de verre, selon lui, a l’effet le plus important pour prévenir la corruption. Par ailleurs, en montrant que des mesures sont prises pour combattre la corruption, les autorités peuvent renforcer la confiance du public dans les institutions et le système de justice. Cela montre que nul n’est au-dessus des lois. Notons également que la visibilité des cas de répression peut encourager les témoins ou les victimes de corruption à dénoncer ces pratiques, sachant que des actions sont effectivement entreprises contre les coupables. Enfin, elles mettent en lumière les faiblesses des systèmes existants et impulsent des réformes pour améliorer les mécanismes de prévention et de détection de la corruption. Tout ceci sans oublier qu’elles sont un signal positif pour les partenaires au développement, très souvent détenteurs de la dette.
II.6. Promouvoir la coopération internationale pour combattre la corruption L’article 46 de la convention des Nations Unies contre la corruption ou convention de Mérida est spécifiquement dédié à la coopération internationale. Il encourage les États parties à développer l’entraide judiciaire afin de se fournir assistance judiciaire mutuelle dans la collecte de preuves, l’exécution de décisions judiciaires, la recherche et l’identification de biens, et toute autre mesure nécessaire pour les enquêtes, poursuites et procédures judiciaires relatives aux infractions de corruption. En outre, elle les engage à coopérer pour l’extradition des personnes accusées de corruption, conformément à leurs lois nationales et aux traités pertinents. Ils peuvent également prendre des mesures pour assurer la confiscation des biens liés à la corruption. Les États parties peuvent transférer les procédures pénales entre eux pour faciliter l’action judiciaire contre les criminels présumés impliqués dans les actes de corruption. Pour finir, ils peuvent s’assister techniquement et échanger des informations. Tout ceci contribue à renforcer la lutte contre la corruption en restreignant les marges de manœuvre des corrompus. La Côte d’Ivoire a transposé ces dispositions dans son dispositif juridique à travers les articles 90 et 91 de la section II du titre IV relative à la coopération internationale dans l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013. En agissant ainsi, les autorités ivoiriennes se sont engagées à œuvrer de concert avec d’autres nations contre la corruption. Cela donne un bon signal quant aux actions à mener contre la corruption afin de rendre la Côte d’Ivoire plus sûre et de mieux honorer les engagements internationaux, plus particulièrement en ce qui concerne le remboursement de la dette.
Références/Sources
[1] Les surfacturations intervenant dans la construction de six unités sucrières devant assurer une production annuelle de 300.000 tonnes à la Côte d’Ivoire entraînent un véritable désastre financier. Plus de 250 milliards sont engloutis et la production desdits complexes n’a guère dépassé les 150.000 tonnes. Les complexes furent démantelés partiellement dans les années 1980, avant d’être cédés au privé en 1997. Le scandale de la LOGEMAD révèlera que cet organisme d’État chargé de reverser les loyers aux propriétaires des logements occupés par des fonctionnaires profite essentiellement aux responsables politiques. Leurs techniques consistent à l’époque à fixer les prix des baux administratifs alors qu’ils sont propriétaires des logements baillés à l’État. Le préjudice subi, s’élève à des centaines de millions de francs. Rebecca, BEDE, 2014. Les déterminants de l’amélioration de l’indice « contrôle de corruption » en vue de l’éligibilité de la Côte d’Ivoire au MCC, Mémoire de Master Éthique et Gouvernance, P.33
[2] Noé Moise KOSSONOU, « Non ! ça doit changer », Ed. CERAP, 2021, P.110.
[3] Sylvain Musinde SANGWA, « Dictionnaire de la corruption », Ed. l’harmattan, 2017, P.24
[4] Jeroen VOS, « Lutte contre la corruption dans le secteur de l’eau : Méthodes, outils et bonnes pratiques », New York, Programme des Nations Unies pour le Développement, 2011, consultable à l’adresse https://www.undp.org/content/dam/undp/library/Democratic%20Governance/Anticorruption/Corruption%20and%20water_french.pdf
[5] Le Ministre a tenu à rappeler que la Côte d’Ivoire est à 58%, alors que la norme fixée dans l’espace communautaire de l’UEMOA est de 70% du PIB. Il a alors fait savoir que les 25.000 milliards de FCFA avancés comme la dette actuelle de la Côte d’Ivoire doivent être rapportés à la richesse nationale (PIB). Article consultable sur https://www.agenceecofin.com/financespubliques/2703-117432-endettement-et-dette-publique-en-cote-d-ivoire-les-precisions-d-adama-coulibaly-sur-les-investissements-realises
[6] La Côte d’Ivoire bénéficie d’une note de 6,5/10 en progression par rapport à celle de l’édition de 2023 située à 6,2/10. Sa gestion budgétaire est jugée satisfaisante dans l’ensemble et sa politique d’endettement maîtrisée (poids de la dette de 55,9% en septembre 2023 contre 70% norme communautaire UEMOA. Le service de la dette par rapport aux recettes fiscales est en hausse de 68% et devient une inquiétude à surveiller à court et moyen terme. Rapport de la Conférence-risque pays Côte d’Ivoire avril 2024.
[7] Selon le classement 2023 de Transparency International, l’indice de perception de la corruption (IPC) est passé de 37/100 en 2022 à 40/100 en 2023 traduisant un progrès dans la lutte contre la corruption. Stanislas ZÉZÉ, PDG de Bloomfield Investment estime néanmoins que les progrès réalisés au niveau des réformes institutionnelles demeurent illusoires tant que les structures concernées, en particulier la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance (HABG) restent assujetties au pouvoir.
[8] On trouve de nombreux cas où les personnes impliquées détournent l’argent des impôts, ou évitent d’en payer. À travers le paiement de dessous-de-table et d’autres formes de patronage, une élite privilégiée peut éviter d’avoir à payer des impôts ou réduire les paiements dus. Kassimi BAMBA, « La gouvernance à l’épreuve de la corruption », les éditions du CERAP, novembre 2008, P.20
[9] OCDE (2014), Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale, consultable en ligne (payant) : https//www.oecdilibrary.org/fr/governance/rapport-de-l-ocde-sur-lacorruption-transnationale_9789264226623-fr Cité dans OCDE (2016), Prévention de la corruption dans les marchés publics, en ligne : prevention-corruption-marches-publics.pdf (oecd.org)
[10] La ratification par l’État de Côte d’Ivoire de plusieurs conventions internationales à l’instar de la convention des Nations Unies contre la corruption le 25 octobre 2012 et la mise en œuvre des engagements en découlant sur le plan national par la prise de l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et la lutte contre la corruption et n°2013-661 du 20 septembre 2013 fixant les attributions de la HABG. De même plusieurs autres textes ont été adoptés.
[11] Il est question du renforcement des institutions de lutte contre la corruption.
[12] Elle est créée par la Constitution du 1er août 2000 et régie par la loi n°2018-979 du 27 décembre 2018 déterminant ses attributions, sa composition, son organisation et son fonctionnement.
[13] Article 5 de l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. [14] André LACROIX, « ÉTHIQUE ET INTÉGRITÉ DU SERVICE PUBLIC », Presses de l’Université du Québec, Édifice Fleurie, 480, rue de la Chapelle, bureau F015, Québec, 2022, 277 P.
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Mon témoignage
Je me présente, Cédric, cadre dans une multinationale française. Je souhaite partager mon expérience personnelle avec la dette en Côte d'Ivoire, afin d'illustrer les réalités parfois difficiles auxquelles de nombreux Ivoiriens sont confrontés.
En 2014, j'ai contracté un prêt bancaire de 5 millions de francs CFA pour aider ma mère à finaliser la construction d'un appartement destiné à la location. Ce prêt, d'une durée de 4 ans, nous a permis de terminer les travaux et de mettre l'appartement en location.
J'avais prévu de compenser mon investissement en prélevant une partie des loyers perçus. Une première partie devait couvrir les mensualités du prêt, et la seconde partie devait être versée sur un compte dédié aux besoins de ma mère.
Malheureusement, certaines réalités en l’occurrence la naissance de ma fille prématurée dans des conditions assez difficiles ne m’ont pas permis de couvrir les mensualités et c’était vraiment difficile pour moi et ma famille.
N’ayant pas appris de mes erreurs, en 2020, j'ai dû contracter un second prêt, cette fois-ci d'un montant de 15 millions de francs CFA et sur une durée de 7 ans. Ce nouveau prêt était destiné à financer la construction de la maison de retraite de ma mère.
Aujourd'hui, je me retrouve dans une situation financière difficile. La maison de ma mère n'est toujours pas achevée, et je continue à rembourser le prêt. Cette situation me cause un stress important et pèse lourdement sur mon quotidien.
Quoi Faire ? Quels conseils donneriez-vous à M. Cédric ?